ST thomas d'Aquin

Saint Thomas d'Aquin
Chaîne d'Or sur l'Evangile selon
 Saint Jean - Catenae Aurea

 
Le prophète Isaïe, éclairé des splendeurs d'une vision toute divine, dit : « J'ai vu le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé, et la maison était pleine de sa majesté, et le bas de ses vêtements remplissait le temple.

S. JER. (sur Isa.) Saint Jean l'évangéliste nous apprend quel est celui qui apparut à Isaïe, lorsqu'après avoir cité une de ses prophéties, il ajoute : « Isaïe dit ces choses, lorsqu'il vit sa gloire, et qu'il parla de lui, » et nul doute que dans sa pensée, il ne soit question du Christ. 

LA GLOSE. Voilà donc dans ces paroles le sujet de l'Evangile, qui porte le nom de saint Jean.

  HIST. ECCL. (3, 34.) Saint Matthieu et saint Luc ayant raconté ce qui avait rapport à la naissance temporelle du Sauveur, saint Jean n'en dit rien ; il commence son Evangile par l'exposé de sa naissance éternelle et divine, et nul doute que cette mission ne lui ait été réservée par l'Esprit saint comme au plus éminent des évangélistes.
 
ALCUIN. L'Evangile est de beaucoup supérieur à toutes les autres parties de l'Ecriture, parce que nous y voyons l'accomplissement de toutes les prédictions de la loi et des prophètes ; mais saint Jean tient à son tour le premier rang parmi les autres évangélistes, à cause de la profondeur des mystères qui lui ont été révélés. Après l'ascension du Sauveur, il se contenta pendant soixante-cinq ans de prêcher de vive voix la parole de Dieu sans rien écrire, jusqu'aux dernières années de Donatien. Mais après la mort de cet empereur, Nerva, son successeur, ayant permis au saint Apôtre de revenir à Ephèse, il écrivit à la prière des évoques d'Asie, sur la divinité du Christ, coéternel au Père, contre les hérétiques, qui niaient que Jésus-Christ fût antérieur à Marie. Aussi est-ce avec raison que parmi les quatre animaux symboliques, il est comparé à l'aigle qui vole plus haut que tous les autres oiseaux, et fixe d'un regard intrépide les rayons du soleil sans en être ébloui.

  S. AUG. (sur S. Jean, chap. 1.) Il s'élève au-dessus de tous les espaces de l'air, au-dessus de toutes les hauteurs des astres, au-dessus de tous les chœurs et de toutes les légions des anges. Et, en effet, à moins de s'élever au-dessus de toutes les créatures, comment pourrait-il parvenir jusqu'à celui par qui tout a été créé ?
 
S. AUG. (de l'acc. des Evang., 1, 5.) Si donc vous prêtez une sérieuse attention, vous verrez que les trois premiers évangélistes qui se sont attachés principalement dans leur récit aux faits de la vie mortelle de Nôtre-Seigneur, et aux paroles qui tendent à la sanctification de la vie présente, semblent avoir eu pour objet la vie active ; saint Jean, au contraire, raconte peu de faits de la vie de Nôtre-Seigneur, mais il reproduit dans toute leur étendue et avec le plus grand soin ses discours, surtout ceux qui traitent de l'unité des trois personnes divines et du bonheur de la vie éternelle, et parait avoir eu pour dessein et pour fin dans son récit, de relever le mérite de la vie contemplative. Aussi les trois animaux, emblèmes des trois autres évangélistes (le lion, l'homme, le taureau), marchent sur la terre, parce que ces trois évangélistes ont eu pour but principal de rapporter les actions de la vie mortelle du Sauveur, et les préceptes de morale qui doivent diriger les hommes dans le cours de cette vie périssable et mortelle. Mais pour saint Jean, semblable à l'aigle, il prend son vol au-dessus des nuages de la faiblesse humaine, et contemple d'un œil intrépide et assuré la lumière de l'immuable vérité. Il s'applique surtout à faire ressortir la divinité du Seigneur, qui le rend égal à son Père, et à en donner aux hommes dans son Evangile, une idée aussi étendue que l'intelligence humaine le permet.
 
LA GLOSE. Saint Jean l'évangéliste peut donc dire comme le prophète Isaïe : « J'ai vu le Seigneur sur un trône élevé et sublime », lui qui, par la pénétration de son regard, a contemplé le Christ régnant dans toute la majesté de la divinité, dont la nature est élevée au-dessus de toutes les créatures. Il peut dire aussi : « Et le temple était rempli de sa majesté, » lui qui déclare que tout a été fait par lui et qu'il éclaire de sa lumière tous ceux qui viennent en ce monde. Il peut dire encore « ce qui était au-dessous de lui remplissait le temple, » lui qui nous révèle en ces termes le mystère de l'incarnation : « Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, sa gloire comme Fils unique, né du Père, plein de grâce et de vérité, et nous avons tous reçu de sa plénitude. » Les paroles du prophète contiennent donc tout le sujet de cet Evangile. Saint Jean nous représente le Seigneur assis sur un trône élevé, en nous montrant la divinité de Jésus-Christ ; nous voyons la terre remplie de sa majesté, lorsqu'il nous montre toutes les créatures tirées du néant par sa puissance et comme remplies de ses divines perfections. Il nous enseigne encore que ce qui est au-dessous de lui (les mystères accomplis dans son humanité), remplit le temple (c'est-à-dire l'Eglise), lorsqu'il nous découvre dans les mystères de l'incarnation et de la rédemption de Jésus-Christ une source abondante de grâce et de gloire pour les fidèles.
 
S. CHRYS. (hom. 1 sur S. Jean.) Comment donc ce barbare, cet homme sans lettres, a-t-il pu parler un langage si sublime, et révéler des vérités qu'aucun homme ne connut jamais avant lui ? Cela serait déjà un prodige extraordinaire ; mais une preuve plus forte encore, que c'est l'inspiration divine qui lui a dicté tout ce qu'il raconte dans son Evangile, c'est que les hommes de tous les siècles l'écoutent et se rendent dociles à ses divines leçons. Qui donc n'admirerait la vertu toute-puissante qui habite en lui ?
 
ORIG. (hom. 2 sur div. endr. de l'Evang.) Jean signifie la grâce de Dieu, ou celui en qui est la grâce, ou celui à qui elle a été donnée. Mais de tous ceux qui ont traité des choses divines, à qui a-t-il jamais été donné de pénétrer aussi profondément les mystères cachés du souverain bien, et de les enseigner aux hommes ?

 
Au commencement était le Verbe. 

 
S. CHRYS. (hom. 3 sur S. Jean.) Tandis que tous les autres Evangélistes commencent par l'incarnation du Sauveur, saint Jean, sans s'arrêter à sa conception, à sa naissance, à son éducation, aux progrès successifs de ses premières années, raconte immédiatement en ces termes la génération éternelle : « Au commencement était le Verbe. »

  S. AUG. (Liv. des 83 quest.) Le mot grec ????? signifie également en latin raison et verbe, mais ici la signification de verbe est préférable, parce qu'elle exprime mieux les rapports, non-seulement avec le Père, mais avec les créatures qui ont été faites par la puissance opérative du Verbe. La raison, au contraire, même quand elle n'agit pas, s'appelle toujours raison.
 
S. AUG. (Traité 3 sur S. Jean.) L'usage journalier de la parole, lui fait perdre de son prix à nos yeux, et nous en faisons peu de cas, à cause de la nature passagère du son dont elle est revêtue. Or, il est une parole dans l'homme lui-même qui reste dans l'intérieur de son âme, car le son est produit par la bouche. La parole véritable, à laquelle convient particulièrement ce nom, est celle que le son vous fait entendre, mais ce n'est pas le son lui-même.

 S. AUG. (de la Trinité, 15, 10.) Celui qui peut comprendre la parole non-seulement avant que le son de la voix la rende sensible, mais avant même que l'image des sons se présente à la pensée, peut voir déjà dans ce miroir et sous cette image obscure quelque ressemblance du Verbe dont il est dit : « Au commencement était le Verbe. » En effet, lorsque nous énonçons ce que nous savons, le verbe doit nécessairement naître de la science que nous possédons, et ce verbe doit être de même nature que la science dont il est l'expression. La pensée qui naît de ce que nous savons est un verbe qui nous instruit intérieurement, et ce verbe n'est ni grec, ni latin, il n'appartient à aucune langue. Mais lorsque nous voulons le produire au dehors, nous sommes obligés d'employer un signe qui eu soit l'expression. Le verbe qui se fait entendre an dehors est donc le signe de ce verbe qui demeure caché à l'intérieur, et auquel convient bien plus justement le nom de verbe. Car ce qui sort de la bouche, c'est la voix du verbe, et on ne lui donne le nom de verbe ou de parole, que par son union avec la parole intérieure, qui est son unique raison d'être.
 
S. BAS. (hom. sur ces par.) Le Verbe dont parle ici l'Evangéliste n'est pas un verbe humain ; comment, en effet, supposer au commencement l'existence du verbe humain, alors que l'homme fut créé le dernier de tous les êtres ? Ce Verbe qui était au commencement, n'est donc point le verbe humain, ce n'est point non plus le verbe des anges ; car toute créature est postérieure à l'origine des siècles, et a reçu du Créateur le principe de son existence. Elevez-vous donc ici à la hauteur de l'Evangéliste, c'est le Fils unique qu'il appelle le Verbe.
 
S. CHRYS. (hom. 2 sur S. Jean.) Mais pourquoi saint Jean nous parle-t-il immédiatement du Fils, sans rien dire du Père ? C'est que le Père était connu de tous les hommes, sinon comme Père, du moins comme Dieu ; le Fils unique, au contraire, n'était pas connu. Voilà pourquoi l'Evangéliste s'applique dès le commencement à en donner la connaissance à ceux qui ne l'avaient pas. Disons plus, le Père lui-même est compris dans tout ce qu'il dit du Fils. C'est pour cette raison qu'il lui donne le nom de Verbe. Il veut enseigner que le Verbe est le Fils unique de Dieu, il détruit donc par avance toute idée d'une génération charnelle, en montrant que ce Verbe a été engendré de Dieu d'une manière incorruptible. Une seconde raison pour laquelle il lui donne ce nom, c'est que le Fils de Dieu devait nous faire connaître ce qui concerne le Père. Aussi ne l'appelle-t-il pas simplement Verbe, mais il le distingue de tous les autres verbes, en ajoutant l'article. L'Ecriture a coutume d'appeler verbe ou parole les lois et les commandements de Dieu ; mais le Verbe dont il est ici question est une substance, une personne, un être qui est né du Père par une naissance exempte de corruption et de douleur.
 
S. BAS. (hom. précéd.) Mais pourquoi est-il le Verbe ? parce que sa naissance est sans douleur, parce qu'il est l'image de celui qui l'a engendré, qu'il le reproduit tout entier en lui-même, sans aucune division, et en possédant comme lui toute perfection.

  S. AUG. (de la Trin., 15, 13.) De même qu'il existe une grande différence entre notre science et celle de Dieu, le verbe qui est le produit de notre science est aussi bien différent du Verbe de Dieu qui est né de l'essence même du Père ; comme si je disais qu'il est né de la science du Père, de la sagesse du Père, ou ce qui est plus expressif encore, du Père, qui est science, du Père, qui est sagesse. Le Verbe de Dieu, Fils unique du Père, est donc semblable et égal à son Père en toutes choses ; car il est tout ce qu'est le Père, il n'est cependant pas le Père, parce que l'un est le Fils, et l'autre le Père. Le Fils connaît tout ce que connaît le Père, puisqu'il reçoit du Père la connaissance en même temps que l'être. Connaître et exister sont ici une seule et même chose ; et ainsi le Fils n'est point pour le Père le principe de la connaissance, parce qu'il n'est pas pour lui le principe de l'existence. C'est donc en s'énonçant lui-même, que le Père a engendré le Verbe qui lui est égal en toutes choses ; car il ne se serait pas énoncé dans toute son intégrité et dans toute sa perfection, si son Verbe lui était inférieur ou supérieur en quelque chose. N'hésitons pas à considérer quelle distance sépare de ce Verbe divin notre verbe intérieur, dans lequel nous trouvons cependant quelque analogie avec lui. Le verbe de notre intelligence ne reçoit pas immédiatement sa forme définitive, c'est d'abord une idée vague qui s'agite dans l'intérieur de notre âme, et qui est le produit des différentes pensées qui se présentent successivement à notre esprit. Le verbe véritable n'existe, que lorsque de ces pensées qui s'agitent et se succèdent dans notre âme, naît la connaissance qui donne à son tour naissance au verbe, et ce verbe ressemble en tout à cette connaissance ; car la pensée doit nécessairement avoir la même nature que la connaissance dont elle est le produit. Qui ne voit quelle différence extrême dans le Verbe de Dieu, qui possède la forme et la nature de Dieu sans l'avoir acquise par ces divers essais de formation, sans qu'il puisse jamais la perdre, et qui est l'image simple et consubstantielle du Père ? C'est la raison pour laquelle l'Evangéliste l'appelle le Verbe de Dieu, plutôt que la pensée de Dieu ; il ne veut pas qu'on puisse supposer en Dieu une chose qui soit soumise au changement, ou au progrès du temps ; qui commence à prendre une forme qu'elle n'avait pas auparavant, et qu'elle peut perdre un moment après en retombant dans les vagues agitations de l'intelligence.

 S. AUG. (serm. 38 sur les par. du Seig.) C'est qu'en effet le Verbe de Dieu est la forme qui n'a jamais été soumise à la formation, c'est la forme de toutes les formes, la forme immuable, exempte de vicissitudes, de décroissance, de toute succession, de toute étendue mesurable, la forme qui surpasse toutes choses, qui existe en toutes choses, qui est le fondement sur lequel reposent toutes choses, et le faîte qui les couvre et les domine.
 
S. BAS. (hom. précéd.) Notre verbe extérieur a quelque ressemblance avec le Verbe de Dieu. Notre verbe, en effet, reproduit la conception de notre esprit, car nous exprimons par la parole ce que notre intelligence a préalablement conçu. Notre cœur est comme une source, et la parole que nous prononçons est comme le ruisseau qui sort de cette source.
 
S. CHRYS. (hom. précéd.) Remarquez ici la prudence spirituelle de l'Evangéliste. Il savait que les hommes avaient de tout temps rendu des honneurs divins à l'être qu'ils reconnaissaient exister avant toutes les créatures et qu'ils appelaient Dieu. C'est donc par cet être qu'il commence en lui donnant le nom de principe, et bientôt celui de Dieu : « Dans le principe était le Verbe. »

 ORIG. Ce nom de principe ou de commencement a plusieurs significations. Il peut signifier le commencement d'un chemin ou d'une longueur quelconque, comme dans ces paroles : « Le commencement de la bonne voie est de faire la justice. » (Pr 16, 5.) Il signifie encore le principe ou commencement de la génération, comme dans ces paroles du livre de Job : « Il est le commencement des créatures de Dieu ; et l'on peut, sans rien dire d'extraordinaire, affirmer que Dieu est le commencement ou le principe de toutes choses. Pour ceux qui regardent la matière comme éternelle et incréée, elle est le principe de tous les êtres qui ont été tirés de cette matière préexistante. Le mot principe a encore une signification plus particulière, comme lorsque saint Paul dit que le Christ est le principe de ceux qui ont été faits à l'image de Dieu. (Col 1) Il y a encore le commencement ou le principe de la discipline et de la morale chrétienne, et c'est dans ce sens que le même Apôtre dit aux Hébreux : « Lorsqu'on raison du temps, vous devriez être maîtres, vous avez encore besoin qu'on vous enseigne les premiers commencements do la parole de Dieu. » (Hé 5, 12.) Le mot principe a lui-même deux sens différents, il y a le principe considéré dans ses rapports avec nous. Ainsi le Christ est par nature le principe de la sagesse, on tant qu'il est la sagesse et le Verbe de Dieu ; et il est pour nous ce môme principe en tant que Verbe fait chair. Parmi tontes ces significations différentes du mot principe, nous pouvons choisir ici celle qui exprime le principe agissant ; car le Christ créateur est comme le principe en tant qu'il est la sagesse, et le Verbe dans le principe, est la même chose que le Verbe dans la sagesse ; car le Sauveur est la source d'une infinité de biens. De même donc que la vie était dans le Verbe, ainsi le Verbe était dans le principe, c'est-à-dire dans la sagesse. Considèrez, si d'après cette signification, il est possible d'entendre le principe, dans ce sens que c'est suivant les règles de cette sagesse, et les idées exemplaires qu'elle renferme, que toutes choses ont été faites. Ou bien encore, comme le Père est le principe du Fils, le principe des créatures et de tous les êtres, il faut entendre ces paroles : « Dans le principe était le Verbe, » dans ce sens que le Verbe qui était le Fils, était dans le principe, c'est-à-dire dans le Père.

  S. AUG, (de la Trin., 6, 2.) Ou bien encore, ces paroles : « Au commencement, » dans le principe, signifient : « Avant toutes choses. » 

     S. BAS. (hom. précéd.) Le Saint-Esprit a prévu que des envieux et les détracteurs de la gloire du Fils unique chercheraient à détruire par leurs sophismes la foi des fidèles en disant : S'il a été engendré, on ne peut pas dire qu'il était, et avant d'être engendré, il n'était pas. C'est pour fermer par avance la bouche à ces blasphémateurs, que l'Esprit saint dit : « Au commencement était le Verbe. »
 
S. HIL. (de la Trin., 2.) Tous les temps sont dépassés, tous les siècles sont franchis, toutes les années disparaissent ; imaginez tel principe que vous voudrez, vous ne pouvez circonscrire celui-ci dans les limites du temps, il existait avant tout les temps.
 
S. CHRYS. (hom. 2 sur S. Jean.) Lorsqu'un homme monte sur un navire, tant qu'il est près du rivage, il voit se dérouler devant lui les ports et les cités, mais dès qu'il est avancé en pleine mer, il perd de vue ces premiers objets, sans que ses yeux puissent s'arrêter sur aucun point. Ainsi l'Evangéliste, en nous élevant au-dessus de toutes les créatures, laisse notre regard comme suspendu et sans objet, et ne lui permet d'entrevoir ni aucunes bornes dans les hautes régions où il l'a transporté, ni aucunes limites où il puisse se fixer, car ces paroles : « Au commencement, » expriment à la fois l'Etre infini et éternel.
 
S. AUG. (serm. 38 sur les par. du Seign.) On fait cette objection : S'il est Fils, donc il est né. Nous l'avouons. Ils ajoutent : S'il est né un Fils au Père, il était Père avant la naissance de son Fils. La foi rejette cette conclusion. Mais, poursuit-on, expliquez-moi donc comment le Père a pu avoir un Fils, qui fut coéternel au Père dont il est né, car le fils naît après son père pour lui succéder après sa mort. Ils vont chercher leurs comparaisons dans les créatures, il nous faut donc aussi trouver des comparaisons à l'appui des vérités que nous défendons. Mais comment pouvoir trouver dans toute la création un être coéternel, alors qu'aucune créature n'est éternelle ? Si nous pouvions trouver ici-bas deux êtres absolument contemporains, l'un qui engendre, l'autre qui est engendré, nous pourrions avoir une idée de l'éternité simultanée du Père et du Fils. La sagesse nous est représentée dans l'Ecriture comme l'éclat de la lumière éternelle et comme l'image du Père. Cherchons dans ces deux termes une comparaison qui, à l'aide de deux choses existant simultanément, puisse nous donner l'idée de deux êtres coéternels. Personne n'ignore que l'éclat de la lumière vient du feu ; supposons donc que le feu est le père de cet éclat, dès que j'allume une lampe, le feu et la lumière existent simultanément. Donnez-moi du feu sans lumière, et je vous concéderai que le Père n'a point eu de Fils. L'image doit son existence au miroir, cette image se produit dès qu'un homme se regarde dans un miroir, mais celui qui se regarde dans un miroir existait avant de s'en approcher. Prenons encore comme objet de comparaison une plante on un arbuste nés sur le bord des eaux, est-ce que leur image ne naît pas simultanément avec eux ? Si donc cet arbuste existait toujours, l'image de l'arbuste aurait la même durée. Or, ce qui vient d'un être est vraiment né de lui ; l'être qui a engendré peut donc toujours avoir existé avec celui qui est né de lui. Mais on me dira : Je comprends que le Père soit éternel, et que le Fils lui soit coéternel, mais de la même manière que je comprends l'éclat du feu moins brillant que le feu lui-même, ou comme l'image de l'arbuste qui se produit dans les eaux, moins réelle et moins parfaite que l'arbuste lui-même. Non, l'égalité est parfaite et absolue. Je ne le crois point, me réplique-t-on, parce que vos comparaisons ne sont pas justes. Peut-être, cependant, trouverons-nous dans les créatures des choses qui nous feront comprendre comment le Fils est coéternel au Père, sans lui être inférieur, mais ce ne sera pas dans un seul objet de comparaison. Joignons donc ensemble deux comparaisons différentes, celle qu'ils donnent eux-mêmes et celle que nous apportons. Ils ont emprunté leur comparaison aux êtres qui sont postérieurs par le temps à ceux qui leur donnent naissance, par exemple, à l'homme qui naît d'un autre homme ; mais cependant ces deux hommes ont une même nature. Nous trouvons donc dans cette naissance l'égalité de nature, mais nous n'y trouvons pas l'égalité d'existence. Au contraire, dans cette autre comparaison empruntée à l'éclat du feu et à l'image de l'arbuste, vous ne trouvez pas l'égalité de nature, mais l'égalité de temps. Vous trouvez donc réunies en Dieu les propriétés qui sont disséminées dans plusieurs créatures, et vous les trouvez réunies, non pas comme elles sont dans les créatures, mais avec la perfection qui convient au Créateur.
 
actes du concile d'ephèse. L'Ecriture appelle le Fils, tantôt le Fils du Père, tantôt le Verbe, tantôt l'éclat de la lumière éternelle, et elle emploie tour à tour ces divers noms en parlant du Christ, pour les opposer aux blasphèmes de l'hérésie. Votre fils est de même nature que vous ; l'Ecriture, pour vous montrer que le Père et le Fils ont une même nature, appelle le Fils, qui est né du Père, son Fils unique. Mais comme la naissance d'un fils rappelle l'idée de souffrance et de douleur qui accompagnent inséparablement la génération humaine, la sainte Ecriture appelle le Fils de Dieu le Verbe, pour éloigner toute idée de souffrance de la génération divine. Et encore, tout père est incontestablement plus âgé que son fils, mais il n'en est pas de même pour la nature divine, et c'est pour cela qu'elle appelle le Fils unique du Père, l'éclat de la lumière éternelle. En effet, la lumière naît du soleil, mais elle ne lui est point postérieure. Le nom d'éclat de la lumière éternelle vous montre donc que le Fils est coéternel au Père, le nom de Verbe vous prouve l'impassibilité de sa naissance, et le nom de Fils, sa consubstantialité avec le Père.
 
S. CHRYS. (hom. 2 sur S. Jean). On objecte encore : Ces paroles : « Au commencement, » ne signifient pas simplement et nécessairement l'éternité, car n'est-il pas dit de la création du ciel et de la terre : « Au commencement, Dieu fit le ciel et la terre ? » Mais qu'a de commun cette expression : « Il était, » avec cette autre : « Il fit ? » Lorsqu'on dit d'un homme : « Il est » cette expression marque le temps présent ; lorsqu'on l'applique à Dieu, elle signifie celui qui existe toujours et de toute éternité. De même l'expression : « Il était, » appliquée à notre nature, signifie le temps passé, mais lorsqu'il s'agit de Dieu, elle exprime son éternité.

  ORIG. (hom. 2. sur div. sujets.) Le verbe être a une double signification, tantôt il exprime les différentes successions de temps, lorsqu'il se conjugue avec d'autres verbes ; tantôt il exprime la nature de la chose dont on parle sans aucune succession de temps, c'est pour cela qu'il est appelé verbe substantif.

  S. HIL. (De la Trin., 2.) Jetez donc un regard sur le monde, comprenez ce qui est écrit du monde : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. » Ce qui est créé reçoit donc l'existence au commencement, et ce qui se trouve renfermé dans le principe qui lui donne l'existence se trouve également renfermé dans les limites du temps. Or, ce simple pécheur, sans lettres, sans science, s'affranchit des bornes du temps, remonte avant tous les siècles et s'élève au-dessus de tout commencement. Car ce qui était, c'est ce qui est, ce qui n'est circonscrit par aucune durée, et qui était au commencement ce qu'il est, bien plutôt qu'il n'était fait. — ALCUIN. C'est donc contre ceux qui alléguaient la naissance temporelle du Christ, pour enseigner qu'il n'avait pas toujours existé, que l'Evangéliste commence son récit par l'éternité du Verbe : « Au commencement était le Verbe. »
 
Et le Verbe était en Dieu.
 
S. CHRYS. (hom. 2 sur S. Jean.) C'est surtout le propre de Dieu d'être éternel et sans commencement, c'est ce que l'Evangéliste a établi tout d'abord, mais de peur qu'on ne vînt à conclure de ces paroles : « Au commencement était le Verbe, » que le Verbe n'a pas été engendré, il ajoute aussitôt pour repousser cette idée : « Et le Verbe était en Dieu. »

  S. HIL. (De la Trin., 2.) Il est dans le Père sans aucun commencement, il n'est point soumis à la succession du temps, mais il a un principe de son existence. — S. BAS. (hom. précéd.) Il s'exprime encore de la sorte contre ceux qui osaient blasphémer que le Verbe n'était pas. Où donc était le Verbe ? Il n'était pas dans un lieu, car ce qui ne peut être circonscrit, ne peut être soumis aux lois de l'espace. Mais où était-il donc ? Il était en Dieu. Or, ni le Père, ni le Fils, ne peuvent être contenus dans aucun espace.
 
ORIG. Il est utile de faire remarquer que nous lisons dans l'Ecriture, que le verbe ou la parole a été faite ou adressée à quelques-uns, par exemple à Osée, à Isaïe, à Jérémie ; mais le Verbe n'est pas fait en Dieu comme une chose qui n'existe pas en lui. C’est donc d’un être qui est éternellement en lui, que l'Evangéliste dit : « Et le Verbe était avec Dieu, » paroles qui prouvent que, même au commencement le Fils n'a jamais été séparé du Père. — S. CHRYS. (hom. 3 sur S. Jean.) Il ne dit pas : Il était en Dieu, mais : « Il était avec Dieu, » nous montrant ainsi son éternité comme personne distincte.

  THEOPHYL. L’erreur de Sabellius se trouve détruite par ces paroles. Cet hérétique enseignait que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne formaient qu’une seule personne, qui se manifestait tantôt comme le Père, tantôt comme le Fils, et tantôt comme le Saint-Esprit ; mais quoi de plus fort pour le confondre que ces  paroles : « Et le Verbe était en Dieu ? » car l’Evangéliste déclare ouvertement que le Fils est différent du Père, qu il désigne ici par le nom de Dieu.
 
Et le Verbe était Dieu.
 
S. HIL. (De la Trin., 2.) Vous me direz : Le Verbe, c'est le son de la voix l'énoncé des choses, l'expression des pensées. Le Verbe était dans le principe avec Dieu, parce que la parole, expression de la pensée, est éternelle, lorsque celui qui pense est éternel lui-même. Mais comment le Verbe était-il au commencement, lui qui n'est ni avant, ni après le temps ; je ne sais même s'il peut exister dans le temps ? Lorsque les hommes parlent, leur parole n'existe pas avant qu'ils ouvrent la bouche, et lorsqu'ils ont fini de parler, elle n'existe plus ; au moment même où ils arrivent à la fin de leurs discours, le commencement a cessé d'exister ; Mais si vous avez admis, tout ignorant que vous êtes, ces premières paroles : « Au commencement était le Verbe, » pourquoi demander ce que signifient les suivantes : « Et le Verbe était avec Dieu. » Est-ce que vous pouviez supposer qu'en Dieu le Verbe était l'expression d'une pensée cachée, ou bien Jean aurait-il ignoré la différence qui existe entre ces deux termes : Etre et assister ? Ce qui était au commencement vous est présenté comme étant, non pas dans un autre, mais avec un autre. Faites donc attention au nom et à la nature qu'il donne au Verbe : « Et le Verbe était Dieu. » Il n'est plus question du son de la voix, de l'expression de la pensée ; ce verbe est un être subsistant et non pas un son, c'est une substance, une nature et non une simple expression, ce n'est pas une chose vaine, c'est un Dieu.

  S. HIL. (De la Trin., 7.) L'Evangéliste lui donne le nom de Dieu sans aucune addition étrangère qui puisse être matière à difficulté. Il a bien été dit à Moïse : « Je t'ai établi le dieu de Pharaon. » (Ex 7, 1.) Mais on voit immédiatement la raison de cette dénomination dans le mol qui l'accompagne : « de Pharaon, » c'est-à-dire, que Moïse a été établi le dieu de Pharaon, pour s'en faire craindre et prier, pour le châtier et pour le guérir ; mais il y a une grande différence entre ces deux choses : Etre établi le dieu de quelqu'un et être véritablement Dieu. Je me rappelle encore un autre endroit des Ecritures où nous lisons : « J'ai dit : Vous êtes des dieux. » (Ps 81) Mais il est facile de voir que ce nom n'est donné ici que par simple concession ; et ces paroles : « J'ai dit, » expriment bien plutôt une manière de parler que la réalité du nom qui est donné. Au contraire, lorsque j'entends ces paroles : « Et le Verbe était Dieu ; » je comprends que ce n'est point une simple dénomination, mais une véritable démonstration de sa divinité.
 
S. BAS. (homél. précéd.) C'est ainsi que l'Evangéliste réprime les calomnies et les blasphèmes de ceux qui osent demander : Qu'est-ce que le Verbe ? Il répond : « Et le Verbe était Dieu. »

  THEOPHYL. On peut encore donner une autre liaison de ces paroles avec ce qui précède. Puisque le Verbe était avec Dieu, il est évident qu'il y avait deux personnes distinctes, n'ayant toutes deux qu'une seule et même nature ; c'est ce qu'affirmé l'Evangéliste : « Et le Verbe était Dieu, » c'est-à-dire, que le Père et le Fils n'ont qu'une même nature, comme ils n'ont qu'une même divinité.

  ORIG. Ajoutons que le Verbe ou la parole que Dieu adressait aux prophètes, les éclairait, de la lumière de la sagesse ; au contraire, le Verbe qui est avec Dieu, reçoit de Dieu la nature divine, et voilà pourquoi saint Jean a fait précéder ces paroles : « Et le Verbe était Dieu ; » de ces autres : « Et le Verbe était avec Dieu ou en Dieu. »

  S. CHRYS. (hom. 4 sur S. Jean.) Et il n'est pas Dieu dans le sens de Platon, qui l'appelle tantôt une certaine intelligence, tantôt l'âme du monde, toutes choses complètement étrangères à sa nature divine. Mais on nous fait cette objection : Le Père est appelé Dieu avec addition de l'article, et le Fils sans l'article. Que dit en effet l'apôtre saint Paul ? « Du grand Dieu et notre Sauveur Jésus-Christ. » (Tite, 2, 13.) Et dans un autre endroit : « Qui est Dieu au-dessus de toutes choses? » (Rm 9, 5.) C'est-à-dire, que le Fils est appelé Dieu sans article. Nous répondons que la même observation peut s'appliquer au Père. En effet, saint Paul écrivant aux Philippiens, dit : « Qui ayant la forme et la nature de Dieu (?? ????? ????, sans article), n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu. » (Ph 2, 6.) Et dans son Epître aux Romains : « Grâce et paix soient à vous de la part de Dieu (??? ????, sans article), notre Père, et de Jésus-Christ Nôtre-Seigneur. » (Rm 1, 7.) D'ailleurs, il était parfaitement inutile de mettre ici l'article, alors qu'on l'avait employé mainte fois dans ce qui précède. Donc le Fils n'est pas Dieu dans un sens plus restreint, parce que le nom de Dieu qui lui est donné n'est pas précédé de l'article.
 
Il était au commencement avec Dieu.
 
S. HIL. (De la Trin., 2.) Ces paroles : « Et le Verbe était Dieu, » m'étonnent, et cette locution inusitée me jette dans le trouble, lorsque je me rappelle que les prophètes ont annoncé un seul Dieu. Mais notre pêcheur calme bientôt ce trouble en donnant la raison d'un si grand mystère ; il rapporte tout à un seul Dieu, et fait ainsi disparaître toute idée injurieuse à la divinité, toute pensée d'amoindrissement ou de succession de temps, en ajoutant : « Il était au commencement avec Dieu, » avec Dieu qui n'a pas été engendré, et dont il est proclamé seul le Fils unique, qui est Dieu.

  THEOPHYL. Ou encore, c'est pour prévenir ce soupçon diabolique qui pouvait en troubler plusieurs, que le Seigneur étant Dieu, s'était déclaré contre son Père (comme l'ont imaginé les fables des païens), et séparé de son Père pour se mettre en opposition avec lui, que l'Evangéliste ajoute : « Il était au commencement avec Dieu, » c'est-à-dire, le Verbe de Dieu n'a jamais eu d'existence séparée de celle de Dieu.
 
S. CHRYS. (hom. 4 sur S. Jean.) Ou bien encore ces paroles : « Au commencement était le Verbe, » tout en établissant l'éternité du Verbe, pouvaient laisser croire que la vie du Père avait précédé, ne fût-ce que d'un moment la vie du Fils ; saint Jean va au-devant de cette pensée, et se hâte de dire : « Il était dans le commencement avec Dieu, » il n'en a jamais été séparé, mais il était toujours Dieu avec Dieu. Ou encore, comme ces paroles : « Et le Verbe était Dieu, » pouvaient donner ù penser que la divinité du Fils était moindre que celle du Père, il apporte aussitôt un des attributs particuliers de la divinité, c'est-à-dire, l'éternité, en disant : « Il était au commencement avec Dieu ; et il fait ensuite connaître quelle a été son œuvre, en ajoutant : « Toutes choses ont été faites par lui. »
 
ORIG. Ou bien encore, l'Evangéliste résume les trois propositions qui précèdent dans cette seule proposition : « Il était au commencement avec Dieu. » La première de ces propositions nous a appris quand était le Verbe, il était au commencement ; la seconde, avec qui il était, avec Dieu ; la troisième, ce qu'il était, il était Dieu. Voulant donc démontrer que le Verbe dont il vient de parler est vraiment Dieu, et résumer dans une quatrième proposition les trois qui précèdent : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu, » il ajoute : « Il était au commencement avec Dieu. » Demandera-t-on pourquoi l'Evangéliste n'a pas dit : « au commencement était le Verbe de Dieu, et le Verbe de Dieu était avec Dieu, et le Verbe de Dieu était Dieu ? » Nous répondons que pour tout homme qui reconnaît que la vérité est une, il est évident que la manifestation de la vérité, manifestation qui est la sagesse, doit être également une. Or, s'il n'y a qu'une seule vérité et qu'une seule sagesse, la parole qui est l'expression de la vérité, et qui répand la sagesse dans ceux qui sont capables de la recevoir, doit aussi être une. En donnant cette réponse, nous sommes loin de dire que le Verbe n'est pas le Verbe de Dieu, mais nous voulons simplement montrer l'utilité de l'omission du mot Dieu. D'ailleurs, saint Jean lui-même dit dans l'Apocalypse : « Et son nom est le Verbe de Dieu. »

  ALCUIN. Mais pourquoi s'est-il servi du verbe substantif, « il était ? » Pour vous faire comprendre que le Verbe de Dieu, coéternel à Dieu le Père, précède tous les temps.
 
Toutes choses ont été faites par lui.
 
ALCUIN. Après avoir exposé la nature du Fils, l'Evangéliste fait connaître ses œuvres : « Toutes choses ont été faites par lui, » c'est-à-dire, tout ce qui existe comme substance ou comme propriété.

  S. HIL. (De la Trin., 2.) On pouvait dire encore : Le Verbe était au commencement, mais il a pu ne pas exister avant le commencement? Saint Jean répond : « Toutes choses ont été faites par lui. » Celui par qui a été fait tout ce qui est fait est un être infini, et comme toutes choses viennent de lui, il est aussi le principe du temps.
 
S. CHRYS. (hom. 4 sur S. Jean.) Moïse commence l'histoire de l'Ancien Testament, par le récit détaillé de la création des choses extérieures : « Au commencement, dit-il, Dieu fit le ciel et la terre ; » paroles qu'il fait suivre de la création de la lumière, du firmament, des étoiles et des différentes espèces d'animaux. L'Evangéliste, an contraire, abrège et résume tout ce récit en un seul mot, comme étant connu de ses auditeurs ; il entreprend un sujet plus sublime, et consacre tout son Evangile, non aux œuvres de la création, mais à la gloire du Créateur.

  S. AUG. (de la Gen., à la lett. 2.) Ces paroles : « Toutes choses ont été faites par lui, » nous prouvent suffisamment que la lumière elle-même a été faite par lui, lorsque Dieu dit : « Que la lumière soit, » de même que tous les autres ouvrages de la création. Mais s'il en est ainsi, puisque le Verbe de Dieu, qui est Dieu lui-même, est coéternel à Dieu le Père, cette parole que Dieu prononce : « Que la lumière soit, » est éternelle, bien que la créature n'ait été faite que dans le temps. Ces expressions que nous employons, quand, alors, désignent un temps déterminé, mais quand une chose doit être faite par Dieu, elle est éternelle dans le Verbe de Dieu, et elle est faite au moment où le Verbe a résolu de la faire, car dans ce Verbe, il n'y a aucune de ces successions de temps indiquées par ces expressions quand, alors, parce que le Verbe tout entier est éternel.
 
S. AUG. (Traité 1 sur S. Jean.) Comment donc pourrait-il se faire que le Verbe de Dieu ait été fait, alors que c'est par le Verbe que Dieu a fait toutes choses ? Et si ce Verbe a été fait, par quel autre Verbe a-t-il été fait ? Si vous dites qu'il est le Verbe du Verbe par lequel il a été fait, moi je l'appelle le Fils unique de Dieu. Mais si vous ne l'appelez pas le Verbe du Verbe, reconnaissez qu'il n'a pas été fait, puisque toutes choses ont été faites par lui. — S. AUG. (De la Trin., 6.) S'il n'a pas été fait, il n'est pas créature, il a la même nature que son Père, car toute substance qui n'est pas Dieu est créature, et la substance qui n'a pas été créée est nécessairement la nature divine.
 
THEOPHYL. Tel est le langage que tiennent les Ariens ; tout a été fait par le Fils, comme nous disons qu'une porte a été faite avec une scie qui a servi d'instrument à l'ouvrier, c'est-à-dire, qu'il n'a pas agi comme créateur, mais comme instrument. Et ils prétendent que le Fils a été fait pour servir d'instrument à la création des autres êtres. Nous répondons simplement aux auteurs de ce mensonge : Si, comme vous le dites, le Père avait créé le Fils, pour s'en servir comme d'un instrument, la nature du Fils serait beaucoup moins noble que celle des autres créatures qui ont été faites par lui. De même qu'une scie est d'un rang inférieur à celui des ouvrages qu'elle sert à faire, puisqu'elle n'existe que pour eux ; c'est par le même dessein, disent-ils, que Dieu a créé le Fils, comme si Dieu n’eût jamais produit son Fils, dans l'hypothèse où il n'aurait pas dû créer l'univers. Peut-on tenir un raisonnement plus insensé ? Mais, ajoutent-ils, pourquoi l'Evangéliste n'a-t-il pas dit que le Verbe a fait toutes choses, et s'est-il servi de la préposition par : « Toutes choses ont été faites par lui ? » C'est afin que vous ne croyez pas que le Fils n'a pas été engendré, qu'il est sans principe, et comme le créateur de Dieu.

  S. CHRYS. (hom. 5 sur S. Jean.) Si du reste cette expression : « Par lui » vous déconcerte, et que vous vouliez trouver dans l'Ecriture un témoignage que le Verbe a tout fait lui-même, écoutez David : « Au commencement, Seigneur, vous avez créé la terre, et les cieux sont les œuvres de vos mains. » (Ps. 101) C’est du Fils que le Roi-prophète parle ainsi, comme vous l'apprend l'apôtre saint Paul, qui lui applique ces paroles dans son Epître aux Hébreux (He 1). Si vous prétendez que c'est du Père que le Roi-prophète a voulu parler, et que saint Paul applique ces paroles au Fils, notre raisonnement conserve toute sa force, car saint Paul ne les aurait jamais appliquées au Fils, s'il n'avait été profondément convaincu que le Père et le Fils ont la même puissance et la même divinité. Si la préposition par vous parait indiquer une infériorité quelconque, pourquoi saint Paul remploie-t-il à l'occasion du Père ? « Dieu, écrit-il aux Corinthiens, par lequel vous avez été appelés à la société de son Fils Jésus-Christ, Nôtre-Seigneur, est fidèle ; » (1 Co 1, 9) et encore : « Paul, Apôtre par la volonté de Dieu ? »

  ORIG. Valentin est aussi tombé dans l'erreur, en disant que le Verbe avait été pour le Créateur la cause de la création du monde. Car si les choses étaient telles qu'il les affirme, l'Evangéliste aurait dû dire : que le Verbe a tout fait par le Créateur, et non que le Créateur a tout fait par le Verbe.
 
Et sans lui rien n'a été fait.
 
S. CHRYS. (hom. 5 sur S. Jean,) Ces paroles : « Toutes choses ont été faites par lui, » ne comprennent pas seulement les êtres dont Moïse nous rapporte la création ; aussi saint Jean ajoute-t-il expressément : « Et sans lui rien n'a été fait, » soit des choses visibles, soit des invisibles. Ou encore : c'est afin qu'on ne fût point tenté de restreindre aux miracles racontés par les autres évangélistes, ces paroles : « Toutes choses ont été faites par lui, » qu'il ajoute : « Et sans lui rien n'a été fait. »

  S. HIL. (De la Trin., 2.) Ou encore : Ces paroles : « Toutes choses ont été faites par lui, » ont un sens indéterminé. Or, il y a un être qui n'a pas été engendré et qui n'a été fait par personne ; il y a un Fils qui a été engendré par celui qui n'a pas eu de naissance, et l'Evangéliste fait nécessairement supposer que le Père est l'auteur de toutes choses, en parlant de celui qui lui est si étroitement associé, et en disant : « Sans lui rien n'a été fait. » Car puisque rien n'a été fait sans lui, je conclus nécessairement qu'il n'est pas seul, mais qu'il y eu a un par qui tout a été fait, et un autre sans lequel rien n'a été fait.

  ORIG. (homélie 2 sur divers sujets.) Ou encore : L'Evangéliste veut aller au-devant de cette pensée qu'il y a des choses qui sont faites par le Verbe, et d'autres qui existent par elles-mêmes indépendamment du Verbe, et c'est pour cela qu'il ajoute : « Et sans lui rien n'a été fait, » c'est-à-dire, rien n'a été fait en dehors de lui, car il embrasse, contient et conserve toutes choses.

  S. AUG. (Quest. sur l'Anc. et le Nouv. Test., 97.) Ou bien encore : Ces paroles : « Sans lui rien n'a été fait, » éloignent de nous jusqu'à l'idée que le Verbe soit une simple créature. Comment soutenir, en effet, qu'il est une créature, lorsque l'Evangéliste affirme que Dieu n'a rien fait sans lui ?
 
ORIG. (Traité sur S. Jean.) Ou bien encore, si toutes choses ont été faites par le Verbe, et qu'au nombre de ces choses se trouve le mal et tout le malheureux courant du péché, le Verbe serait donc l'auteur du mal et du péché, ce qu'il est impossible d'admettre. Le néant et le non être sont deux termes qui ont la même signification. L'Apôtre lui-même semble appeler le mal le non être, lorsqu'il dit : « Dieu appelle les choses qui sont comme celles qui ne sont pas ; » (Rm 4) ainsi sous le nom de rien, il faut comprendre le mal qui a été fait sans le Verbe.

  S. AUG. (Traité 1 sur S. Jean.) En effet, le péché n'a point été fait par le Verbe, et il est évident que le péché c'est le rien, ou le non être, et que les hommes tombent dans le rien, lorsqu'ils commettent le péché. L'idole, non plus, n'a pas été faite par le Verbe ; elle a bien une forme humaine, et c'est par le Verbe que l'homme a été fait. Mais la forme humaine n'a pas été donnée à l'idole par le Verbe, car il est écrit : « Nous savons qu'une idole n'est rien. » (1 Co 8) Donc aucune de ces choses n'a été faite par le Verbe, mais il est l'auteur de tout ce qui existe dans la nature, et de tout l'ensemble des créatures depuis l'ange jusqu'au vermisseau.
 
ORIG. (Traité 2 sur S. Jean.) Valentin retranche du nombre des choses qui ont été faites par le Verbe, celles qui ont été faites dans les siècles, et dont il fait remonter l'existence avant le Verbe ; opinion contraire à toute évidence ; car les choses qu'il regarde comme divines ne sont point comprises dans toutes ces choses qui ont été faites par le Verbe, et celles qui, de son avis, sont sujettes à la destruction, en font évidemment partie. Quelques-uns prétendent, mais à tort, que le démon n'est pas une créature de Dieu ; ce n'est qu'en tant qu'il est démon, qu'il n'est pas créature de Dieu, mais celui qui a eu le malheur de devenir un démon, est vraiment l'œuvre de Dieu ; ainsi, disons-nous qu'un homicide n'est point l'œuvre et la créature de Dieu, bien cependant que comme homme il soit véritablement son œuvre.
 
S. AUG. (de la nature du bien, 25.) Il ne faut point s'arrêter à l'opinion absurde de ceux qui prétendent qu'il faut entendre ici le rien d'un certain ordre d'êtres, parce que ce mot rien se trouve placé à la fin de la phrase ; ils ne comprennent pas qu'il n'y a aucune différence entre ces deux manières de s'exprimer : « Sans lui, rien n'a été fait, » ou : « Sans lui n'a été fait rien. »
 
ORIG. (Traité 2 sur S. Jean.) Si l'on prend le verbe dans le sens qu'il se trouve en chacun de nous, et qu'il nous a été donné par le Verbe qui était au commencement, ou peut dire que nous ne faisons rien sans ce verbe, en prenant le mot rien dans son sens le plus simple. L'Apôtre dit : « Que sans la loi, le péché était mort, mais que le commandement étant survenu, le péché est ressuscité ; » (Rm 7, 8-9) car le péché n'est pas imputé, lorsque la loi n'est pas encore. Le péché n'existait pas non plus, avant que le Verbe descendît sur la terre, au témoignage de Nôtre-Seigneur lui-même : « Si je n'étais pas venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils n'auraient pas de péché. (Jn 15) En effet, il ne reste aucune excuse à celui qui veut se justifier de ses fautes, alors qu'il a refusé d'obéir au Verbe qui était présent, et qui lui indiquait ce qu'il devait faire. Nous ne devons cependant ni inculper ni accuser le Verbe, pas plus qu'on ne peut accuser un maître dont les leçons ont ôté à son élève tout moyen de rejeter ses fautes sur son ignorance. Donc toutes choses ont été faites par le Verbe, non-seulement les choses de la nature, mais tous les êtres privés de raison.

par jesusmarie
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